La trajectoire de Podsekalnikov dans Le suicidé est celle d’un homme qui cherche son bonheur dans une époque où l’artificialité règne, où l’intimité n’est qu’un lointain souvenir, où le cynisme régnant peut aller jusqu’à tirer profit de la mort, où l’idéologie systémique a infecté toutes les strates de la société, où penser librement ou autrement est mal vu, voire condamnable.
Évidemment la satire, la comédie, le burlesque, le vaudeville poussés jusqu’à leurs extrêmes ne suffirent pas à épargner à Erdman une censure stalinienne catégorique, avant même la création de la pièce !
Cette pièce valut d’ailleurs à son auteur un exil loin de Moscou et de ses théâtres, signant la fin de sa vie créative ; il n’écrira plus jamais pour le théâtre.
Pourquoi cette farce ?
La prose d’Erdman, par son efficacité redoutable, sa drôlerie et sa force dramatique, offre aux acteur.trice.s un terrain de jeu inépuisable. Nous avons tenté de sauter dedans à qui mieux mieux, comme des sales gosses le feraient dans un bac sable avec fougue, amusement et excentrisme. L’excentrisme, voilà le terme le plus juste pour qualifier l’œuvre d’Erdman et l’invitation qu’il nous fait à un théâtre fait de jubilation.
L’anecdote de départ se considère ici comme un prétexte propre à dynamiter un petit monde replié sur lui-même et en pulvériser les particules façon puzzle : Podsekalnikov, anti héros mi hâbleur, mi loser, voit la rumeur propagée de son possible suicide enflammer la société comme une traînée de poudre : ce sera à qui pourra revendiquer ce geste morbide pour sa cause, sa personne et le récupérer pour ses propres intérêts, ou ceux de sa lutte, sans la moindre pudeur ou empathie. Cette imposture initiale agit comme un catalyseur, qui fait éclater un gigantesque scandale, ou se révèlent d’autres impostures en chaîne. La boule de neige grossit et prend des allures d’avalanche, jusqu’à l’extrême…
« Je veux vivre », reste le dernier cri subversif d’un Podsekalnikov face à un monde qui avait tout spéculé sur sa disparition…